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Du nouveau chez les anciens

Bulletin 106 - 2003/4

La réintégration en bouteille d’un bateau qui avait fait une fugue après avoir brisé sa bouteille, m’a permis de découvrir un gréement "sans perles" que je ne connaissais pas.

Pour certains des lecteurs de "Rose des Vents" ce ne sera peut-être pas une découverte... Mais, pour ma part, je ne me souviens pas d’avoir vu décrire cette méthode dans "Rose des Vents", ni dans aucun ouvrage en ma possession sur les bateaux en bouteilles.

Il s’agit d’une méthode de gréement "cap-hornier" inédite : nous voilà donc tout à fait dans l’objet de l’Association.

L’oeuvre à restaurer est un diorama de mastic peint à la gouache, dans lequel sont encastrées de petites maisons en bois peint et vernis. Il y a trois bateaux dans la bouteille : deux petits remorqueurs et, entre eux, un trois-mâts barque avec un beaupré impressionnant. Un phare, planté dans l’épaule de la bouteille, veille sur l’ensemble. Les deux remorqueurs sont très disproportionnés par rapport au trois-mâts. La composition donne une impression de naïveté et de compétence dans l’exécution.

La bouteille d’origine est d’un litre, moulée (il y a une couture visible), à fond plat. Le verre est légèrement teinté. La bouteille de remplacement est une bouteille d’un litre, moulée, à font plat, en verre blanc.

Peut-on dater un tel travail ? Aucune date, aucune signature, pas de nom ce bateau...Une seule indication : le chiffre 13 peint sur le côté avant bâbord de l’un des remorqueurs.

Cela signifie-t-il 1913 ? Rien ne permet de l’affirmer, ni de le contester.

Cependant, à l’estime, et sans certitude, je situerais ce travail entre 1890 et 1920.

LA COQUE

L’ensemble coque+beaupré mesure 17cm de long. Les photos montrent une coque très fine, très idéalisée, se prolongeant de manière exagérée dans le beaupré, de telle sorte que je n’ai pu déterminer si le beaupré a été ou non ajouté à la coque.

La coque est en bois, large d’1cm, peinte en vert. Le bordé est jaune doré. L’ensemble est verni. La coque est légèrement creusée au niveau du pont.

Le dessous de la coque est plat. J’y reviendrai à propos de la fixation des mâts.

LES MÂTS

J’ai précisé qu’il s’agit d’un trois-mâts barque. Les trois mâts méritent une description individuelle.

Mât d’artimon

Il est constitué, comme les deux autres mâts d’un seul morceau.

Hauteur : 5,3cm.

Diamètre à la base : 0,3cm.

Longueur de la bôme : 3,4cm. Diamètre de la bôme à la base : 0,2cm.

Longueur de la corne : 2cm. Diamètre de la corne à la base : 0,2cm.

Les figures 2, 3 et 4 montrent le système de fixation des extrémités de la corne et de la bôme (sur la coque).

Le mât d’artimon est percé de 6 trous, ainsi écartés à partir du pont :
 0,3cm : trou de passage des fils de fixation du mât au pont (j’y reviendrai).
 0,8cm, 1,7cm, 2,5cm, 3,3cm et 4,1cm.

La figure 5 montre le système de passage du fil de haubanage.

On remarquera que ce fil sert à fixer la bôme et la corne au mât d’artimon.

Le fil.

Tout le fil utilisé par le constructeur est du fil de coton perlé, type DMC.

Les familiers des bateaux en bouteilles anciens observeront de temps à autre l’emploi de ce type de fil.

Dans ce modèle, le haubanage et les bras de vergues sont en fil simple.

En revanche, les étais, au nombre de 5, sont en fil double.

Il faut souligner au passage la très bonne résistance du coton perlé aux atteintes du temps. Ici, la couleur a un peu passé, mais la solidité du fil est restée entière : les nombreuses et nécessaires manipulations auxquelles je me suis livré sur ce bateau n’ont pas affecté la résistance des "cordages".

Le restaurateur de bateaux en bouteilles a nettement moins de chance avec des "cordages" en fil à gant, qui a tendance, avec le temps, à devenir cassant.

MÂT DE MISAINE ET GRAND MÂT

La figure 6 montre le schéma de fixation des vergues aux mâts.

Les vergues sont toutes percées en leur milieu. Un fil les traverse toutes de haut en bas, avec un noeud d’arrêt en haut et en bas de chaque mât.

Chaque mât est percé de 5 trous pour laisser passer le fil de fixation des vergues.

Les trous sont percés dans l’axe du bateau. Un sixième trou, placé à 0,3cm de la base des mâts est percé perpendiculairement à l’axe du bateau et sert au passage du fil de fixation des mâts sur le pont (charnière).

Espacement des trous à partir du pont : 1cm, 1,8cm, 2,2cm, 3cm et 3,9cm.

HAUBANAGE DES MÂTS DE MISAINE ET DU GRAND MÂT

La figure 7 montre le système de haubanage : les fils ne passent pas par les trous percés dans les mâts, mais prennent appui sur le fil qui traverse les vergues.

Mesures des mâts de misaine et du grand mât.

Hauteur de chaque mât : 5,3cm.

Diamètre de chaque mât à la base : 0,3cm.

Epaisseur de chaque mât,au sommet, avant la pointe : 0,2cm.

Les mâts sont vernis couleur acajou et leur pointe est peinte en marron (idem pour le mât d’artimon).

LES VERGUES

Il y a 5 vergues de misaine et 5 vergues de grand mât.

Longueur des vergues pour les deux mâts, en commençant par les plus grandes : vergue 1 : 5cm, vergue 2 : 3,5cm, vergue 3 : 2,8cm, vergue 4 : 2,2cm et vergue 5 : 1,5cm.

Toutes ces vergues sont taillées dans du petit bois cylindrique et ont un diamètre de 0,2cm. Arrondies à leurs extrémités, elles sont vernies couleur acajou et les fusées, taillées en pointe, sont peintes en noir.

Chaque vergue est percée de 3 trous.

Un trou central et deux trous à 0,4cm de chaque extrémité. Les 3 trous sont percés selon le même axe.

Voilà un système d’agencement de fils sans doute inconnu des lecteurs de "Rose des Vents". Pour ma part, je ne l’avais jamais rencontré. J’ai donc beaucoup de plaisir à le décrire ici.

Il s’agit d’un système "sans perles", où le fil faisant fonction de bras de vergue passe d’un côté à l’autre de la coque, en longeant chaque vergue et passant à travers les trous de leurs extrémités.

La figure 8 montre le passage du fil reliant les vergues 1 et 2 à la coque.

La figure 9 montre le schéma de passage du fil unique reliant les vergues 3, 4 et 5 au mât d’artimon.

Schémas des fils reliant les vergues du mât de misaine et du grand mât

Pour les vergues 1 et 2, le système est le même que pour les vergues 1 et 2 du grand mât vers le mât d’artimon.

La figure 10 montre le système ingénieux de passage du fil unique depuis la vergue 1 du grand mât jusqu’à la vergue 3 du grand mât.

Comme le montre le dessin, le fil de fixation des vergues du grand mât est utilisé comme moyen de passage du fil des vergues de misaine au grand mât !

Le fil est bloqué à chacune de ses extrémités par un gros noeud d’arrêt !

Du beau travail. Et ça fonctionne très bien au moment où il faut plier les mâts et les vergues.

LES ETAIS

Ils sont au nombre de 5.

4 étais traversent le beaupré, le 5e traverse le pont à gauche du pied du mât de misaine.

Ils sont tous en fil double.

La figure 11 montre le tracé de passage des étais, qui ne traversent pas les mâts.

Les étais 1 à 4 traversent le beaupré, passent sous le beaupré à travers une boucle de fil de cuivre passé dans l’étrave (Figure 12).

L’extrémité de ces fils sera recouverte de mastic.

FIXATION DES MÂTS A LA COQUE

Là encore, vous admirerez l’originalité du constructeur !

En retournant le bateau, on constate que le dessous de la coque est plat. 2 petits trous y sont visibles : sans doute les trous destinés à la fixation du chantier...

La figure 13 montre le chemin que parcourt le fil unique reliant ensemble les 3 pieds de mâts.

Je précise que le fil de coton est doublé et que le constructeur a percé un trou de chaque côté de chaque mât pour le passage du fil.

Les charnières ainsi constituées sont discrètes et je certifie qu’il n’y a pas de "jeu" dans le système (ce qui ne m’a pas facilité la tâche lors du redressement des mâts).

LES ACCESSOIRES DU DIORAMA

Ils sont de 3 types :
 un phare, placé dans l"épaule" de la bouteille,
 des petites maisons plaquées dans le mastic et découpées en série dans une petite plaquette de bois (Figure 14).
 2 petits remorqueurs (voir mesures figure 15)

Le mastic qui tapisse l’intérieur de la bouteille est peint en entier avec de la gouache (la peinture acrylique n’existait pas au début du XXe siècle).

Les petites maisons et le phare ont été plantés dans le mastic une fois le mastic peint.

Vaux-Sur-Mer. Août 2003