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Pilote de Loire

Bulletin 118 - 2006/4

Ce petit modèle en bouteille comporte 140 pièces : 44 pour la coque, 25 pour les équipements de pont, 68 pour le gréement et 3 pour la mer qui est en bois.

L’ensemble du texte ci-dessous est tiré du livre de P. H. Marin consacré aux pilotes du Havre (cf bibliographie).

L’histoire du pilotage est ancienne, connue déjà du temps des Phocéens il y a 4000 ans. Le pilote était "celui qui connaissait le chemin au-delà des vagues".

Le Père René François écrivait en 1621 dans "Les merveilles de la nature" : "C’est quand ceux du païs avec de petits bateaux conduisent les vaisseaux étrangers par les bonnes routes hors des brisants, des sables et des rochers...".

La première codification du pilotage date de 1266 (Rôles d’Oléron). Mais c’est Colbert qui créa dans chaque port de guerre un corps de pilotes hauturiers pour servir les vaisseaux du Roi. Le pilote indiquait la manœuvre à effectuer mais ne la commandait pas. Sa responsabilité était cependant pleine et entière et ses fautes lourdement sanctionnées : de trois ans de galère pour un échouage par négligence, jusqu’à la mort s’il avait agi "malicieusement".

Le métier de pilote s’apprenait souvent sur le tas. Le mousse pouvait devenir pilote s’il satisfaisait au concours de recrutement. Naviguer avec le pilote lui permettait d’apprendre à reconnaître les fonds marins et la configuration de la côte pour savoir se reconnaître sur ces données.

L’emblème de la profession était une petite ancre de marine en argent ou en or avec une chaînette retenant la chaîne de montre. Notre-Dame était la sainte patronne de la corporation.

Les pilotes du Havre faisaient le métier du Nord (Dungeness, vingt milles dans le SO de Douvres) ou de l’Ouest (Cap Lizard), allant au-devant des grands voiliers ou des steamers pour les servir. Ceux de l’Ouest ne devaient pas "démancher".

Les pilotes devaient aussi s’acquitter d’autres tâches : vérifier les balisages des chenaux, ôter les ancres laissées sans bouées, signaler les changements de fonds...

Le cotre pilote embarque le pilote naturellement, mais aussi le patron, un matelot et un mousse.

Les aménagements du bateau le divisent en trois compartiments :

 la cale à l’avant, pour stocker les voiles de rechange et faire sécher celles qui sont mouillées. On y trouve aussi la réserve à légumes, les barils d’eau douce, une caisse à eau (500 l), le fourneau au pied du mât, la caisse à charbon, l’armoire à vaisselle, la caisse à biscuits de mer ; sous les planchers, les chaînes d’ancres et les défenses en filin et en bois.

 la "chambre", avec quatre couchettes (ou cabanes) fermées par des rideaux sur tringle de cuivre ; sous chaque couchette, deux grands tiroirs. Au centre, une table à volets rabattables et quatre coffres servant de sièges et permettant de ranger les ustensiles. A chaque coin, une armoire. La claire-voie assure l’éclairage le jour et une lampe à pétrole suspendue à la cardan la nuit. Les fonds abritaient le lest de gueuses de fonte et de ciment.
 l’échelle pour monter sur le pont et les placards.

La manœuvre de mise à bord du pilote était toujours délicate.

Les signaux de reconnaissance étaient les suivants :
 de jour, le cotre hissait un pavillon blanc de 3x2 m, frappé d’une ancre noire, en tête de mât ou sur un balestron quand le flèche était établi. Le navire répondait en hissant le pavillon ’S’ du code international à son mât de misaine.
 de nuit, on brûlait des torches d’amadou plongées dans du pétrole, donnant une lumière bleutée, d’où le nom de ’bleuets’.

Certains pilotes avaient un code avec les bateaux qui étaient leurs clients habituels.

Quand les cotres croisaient dans les eaux territoriales anglaises, ils arboraient de jour, à la place du pavillon pilote, leur pavillon national.

Le navire se plaçait en travers du vent, ne s’approchant pas trop pour ne pas déventer le cotre qui devait rester manœuvrant.

Celui-ci arrivait vent arrière, passait derrière le navire en panne (ou stoppé s’il s’agissait d’un vapeur) et lofait un peu. On mettait le canot à la mer, le pilote et le lamaneur y embarquaient, larguant aussitôt pour faire route à l’aviron sur l’échelle de pilote disposée le long de la coque du navire en son milieu. Dès que le canot était débordé, le patron resté seul avec le mousse laissait porter pour ne pas être déventé et tomber à l’abri du navire qui dérivait sur eux. Il empennait et laissait sa trinquette de cape à contre pour empêcher le bateau de prendre de l’erre avant de récupérer son canot.

Le cotre se trouvait alors cap sur l’arrière du navire servi et pouvait reprendre son canot à l’abri de celui-ci. Dès que le canot était rentré, le pilote faisait quitter la panne (ou mettre la machine "en avant toute" dans le cas d’un vapeur) pour ne pas tomber sur son cotre.

La manœuvre durait peu de temps mais était souvent dangereuse. Le canot ne mesurait que 3,5 m. Quand il n’y avait pas de vent, c’était la course à l’aviron dans le canot : le lamaneur (matelot) et le patron nageaient à couple et le pilote était à la godille. Le mousse, resté seul à bord du cotre, le gardait aussi manœuvrant que le permettait l’absence de vent.

Les tarifs du pilotage variaient selon le tonnage du navire et la distance à laquelle il prenait son pilote.

Les caractéristiques moyennes des cotres pilotes étaient les suivantes :
 Longueur hors tout : 14,7 m
 Bau maxi : 4,8 m
 Tirant d’eau : 2,9 m
 Déplacement en charge : 40 t
 Hauteur du mât : 16,9 m
 Surface de la grand voile : 93 m2
 Lest de plomb ou de fonte + ciment : 15 à 18 t

Le règlement de l’assurance exigeait que soit embarqué un matériel de sécurité (ancres, chaîne, câble, ligne de déhalage...)

L’hiver, on regréait le mât de flèche et on le remplaçait par un mâtereau plus court pour mieux résister aux coups de vent.

Après la guerre de 14-18, plusieurs de ces bateaux pilotes havrais furent reconvertis à la pêche thonière en rehaussant leurs pavois.

Les risques du métier étaient certains. La mise à bord du pilote était particulièrement dangereuse. Mais ces bateaux participèrent aussi à bon nombre de sauvetages en mer. Beaucoup de leurs équipages payèrent de leur vie leur courage et leur dévouement d’assistance quelque soit le temps. Ils affrontèrent des tempêtes mémorables comme le H21 FELLOW le 10 septembre 1903. Mesurant 17,5 m HT, il fut démâté par une vague énorme, emportant tout sur son passage : mât, canot, capots, claire-voie. L’équipage fut également happé par une lame, sauf les deux mousses qui avaient été envoyés dans la cale pour ne pas être exposés à la manœuvre vraiment trop délicate. Auguste Berthelot et Emile Prentout, le propre fils du pilote Ferdinand Prentout, furent recueillis le lendemain par le steamer ELLA de la ligne Southampton-Cherbourg ; le capitaine Kennan et son équipage les débarquèrent à Cherbourg.

Bibliographie
 "Pilotes, les hirondelles de la Manche, pilotes du Havre" , de Pierre-Henri MARIN, "la mémoire des gens de mer", Voiles / Gallimard.
 "Les quatre vies de MARIE-FERNAND 1894-1994", de P.H. MARIN et D. & S. LUCAS, éditions "L’hirondelle de la Manche".
 Revue CHASSE-MAREE : n° 6, p.60 (Solweig) - n° 15, p.16 (cotres pilotes de Rouen) - n° 44, p.26 (Jolie-Brise) - n° 81, p. 2 (Marie-Fernand).