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Le port fluvial de Villeneuve-le-Roy
à la fin de l’ancien régime
« Le soir nous rentrions dans Villeneuve, ville environnée de murailles décrépites du temps de Philippe-Auguste, et de tours à demi rasées au-dessus desquelles s’élevait la fumée de l’âtre des vendangeurs. » François-René de Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe, livre XIII, chapitre VII.
Un article en six parties :
1) Pourquoi le port de Villeneuve ?
2) Conception et documentation
3) Un principe de base : l’échelle sensible
4) Un peu de technique et des matériaux
5) Principes d’assemblage et outillage
6) À voir dans le flacon (et sources icono)
Ce travail est dédié à François Beaudouin.
Gérard Aubry, d’octobre 2013 à mai 2014
L’histoire remonte au début de l’été 2010. Répondant à une invitation reçue à la revue Neptunia, de l’Association des Amis du Musée national de la Marine, je me suis rendu à la présentation à la presse de l’exposition La Loire dessus-dessous : archéologie d’un fleuve de l’Âge de Bronze à nos jours, du Musée de la Marine de Loire de Châteauneuf-sur-Loire. C’est là que j’ai rencontré François Beaudouin, (1929-2013), ethnographe nautique, anthropologue historique des bateaux vernaculaires ou traditionnels, créateur et ancien conservateur du Musée de la batellerie de Conflans-Sainte-Honorine. Auteur de Bateaux des côtes de France et Bateaux des fleuves de France, François Beaudouin, avec Jean Le Bot [Bateaux des côtes de la Bretagne nord, La Bisquine de Cancale et de Granville] et François Renault [Bateaux de Normandie] a grandement contribué au renouveau d’intérêt pour les bateaux traditionnels français. Édités alors principalement par les Éditions des Quatre Seigneurs à Grenoble, ces auteurs collaboraient aussi dans les années 70 à la revue Le Petit Perroquet fondée par Bernard Cadoret ; en 1981, Le Chasse-Marée, revue d’histoire et d’ethnologie maritime, lui succédera et impulsera durant la décennie suivante la grande vague des restaurations et reconstitutions de bateaux traditionnels français et de rassemblements de grands (et moins grands) voiliers internationaux.
Dans ce puissant élan de regain d’intérêt, si la batellerie a lentement pu trouver sa place, on le doit pour beaucoup au travail de François Beaubouin. Car il faut bien reconnaître qu’elle souffrait en France d’un « déficit d’image » comme l’on dit aujourd’hui. Mondialement popularisé par Hergé, le Capitaine Haddock postillonne son injure suprême : « Marin d’eau douce ! », à rapprocher de « Parisien ! » épithète tout aussi absolue que le marin « d’eau salée » lance vertement au skipper maladroit.
Trois corps de navigation ont coexisté en France de l’antiquité à la fin du XVIIIᵉ siècle : la navigation, côtière puis hauturière, de commerce et de combat ; le corps des galères ; la navigation intérieure. Chaque corps possédait ses techniques de construction et de navigation, son langage propre et ses traditions. Le corps des galères supprimé en 1748, la navigation à voile remplacée par la propulsion mécanique au XIXᵉ siècle, la batellerie se réduit aujourd’hui à des trains de grandes barges poussés sur les fleuves et de trop rares péniches sur les canaux et les rivières. Mais la navigation de plaisance s’y développe au cours du XXe siècle, à l’aviron, à la voile, et au moteur.
Et pourtant, qui sait aujourd’hui que les quelque 2 000 à 3 000 chênes nécessaires, selon le rang, à la construction d’un vaisseau de guerre de la Marine Royale étaient transportés au XVIIIᵉ siècle des forêts de France jusqu’aux chantiers navals côtiers par une armada de chalands halés par des chevaux et les trains de bois flottés. Qui se souvient que, déjà en Gaule romaine, les matériaux, pondéreux et volumineux, circulaient pour les destinations éloignées sur les seules routes praticables pour eux : les rivières et fleuves. Paris, alors la plus grande ville d’Europe avec environ 650 000 habitants, brûlait le bois des forêts pour son chauffage. Elle absorbait : bois de charpente aussi, ou sous forme de merrains à tailler les douves des barriques, chaux, ardoises, briques et tuiles, pierres, graviers et sables du lit des rivières pour la construction de ses immeubles ; le foin pour ses chevaux ; le blé pour son pain, le vin pour ses ripailles ; le tan de chêne pour ses peausseries. Et Villeneuve en sait quelque chose qui voyait passer entre autres dans ses rives les deux tiers, voire les trois quarts du bois destiné à Paris.
Le chemin de fer puis le camion ont privé le réseau navigable de son petit monde et de son trafic multimillénaire. Modestement, les loisirs nautiques et la navigation de plaisance lui offrent un regain d’activité, puissent-ils se développer pour l’animation de nos rivières.
Les publications de nos trois auteurs avec aussi l’universel « Bateaux » du finlandais Björn Lanström, dont la traduction française parut aux Éditions du Compas en 1961, ont constitué les bibles de mes débuts en botellisme. Au sujet de ce petit néologisme, signalons d’emblée que les vocables tels que bottelage (agriculture : mise en bottes des foins et fourrages), et bottelerie (marine : chambre des vivres) ayant déjà une affectation, sans parler du trivial et très parisien embouteillage, le terme botellisme sera retenu pour dénommer cette activité, traditionnelle certes, mais restée linguistiquement orpheline, de mise en bouteille de bateaux à voiles, de mines dites à étages montrant l’extraction de cristaux et métaux précieux, de croix et calvaires, ou encore de nombreux ouvrages d’assemblages complexes de style arts et métiers… Un art populaire qui implique de se sentir 1/3 peintre, 1/3 sculpteur et 1/3 maquettiste … mais aussi 1/3 metteur en scène ! « Dans un verre, il n’y a que trois tiers. » remarquerait Marius (dans une bouteille aussi). César : « Mais, imbécile, ça dépend de la grosseur des tiers. » Laissons l’arithmétique à Marcel Pagnol et au botelliste ses penchants masochistes.
Habitant désormais une ville au passé chargé d’histoire, traversée par une rivière qui a l’originalité de débiter plus au confluent que son fleuve commensal, les magnifiques vues sur les Quais de Bretoche et du Commerce depuis l’île d’Amour, inspiratrices à leur époque des peintres impressionnistes, m’a incité à tenter de reconstituer ce que ces lieux pouvaient être aux temps les plus forts de l’activité fluviale.
À suivre…
2) Conception et documentation
3) Un principe de base : l’échelle sensible
4) Un peu de technique et des matériaux
5) Principes d’assemblage et outillage
6) À voir dans le flacon (et sources icono)