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Accueil > Articles en ligne > Le port fluvial de Villeneuve-le-Roy (5)
Un article en six parties :
1) Pourquoi le port de Villeneuve ?
2) Conception et documentation
3) Un principe de base : l’échelle sensible
4) Un peu de technique et des matériaux
5) Principes d’assemblage et outillage
6) À voir dans le flacon (et sources icono)
Ce travail est dédié à François Beaudouin.
Gérard Aubry, d’octobre 2013 à mai 2014
La construction des éléments architecturaux se fait en les décomposant de manière à ce que la plus petite dimension de chacun d’entre eux soit au plus celle du diamètre du goulot. Ils s’assemblent ensuite à l’intérieur un peu à la façon d’un jeu de Lego. Par exemple, les chaînages horizontaux de pierre grise équarrie, qui courent tout le long de la muraille légèrement proéminents sur la structure de galets de silex, sont collés à cheval sur l’un des bords et dissimulent le raccord. C’est donc le diamètre intérieur du goulot d’un peu moins de 4 cm, qui a déterminé leur niveau au-dessus du sol.
Si aucun élément ne permet de masquer un assemblage, un pliage en accordéon, une feuille de papier coté face faisant office de charnière permet l’introduction d’un plan plus large. C’est le cas pour le sol pavé du pont qui, entré plié en deux est redressé puis courbé dans sa longueur. Ou encore, l’on peut rouler le papier aquarelle lors du passage du goulot pour le dérouler à l’intérieur de la bouteille, ainsi en est-il pour les voûtes (qui restent courbées) et les joues du pont. Un système de cales et de petits assemblages par tenon et mortaise (toujours le principe du Lego) assure le raccordement parfait lors du montage. Là où elles s’avèrent nécessaires, des retouches de peinture épaisse permettent de masquer les joints qui n’ont pu l’être autrement. Si ces retouches s’avèrent impossibles à effectuer proprement, ce sont des éléments de décor posés-collés sur (ou contre) les joints, qui les masquent.
Les différents personnages et accessoires sont, autant que possible, introduits déjà collés sur les éléments principaux. La pose et le collage des autres représentent les opérations les plus délicates à réaliser proprement et avec précision. Un scion de canne à pêche ou un fin tube d’aluminium que l’on peut courber pour contourner des obstacles ou aller poser la pièce dans un recoin, composent les manches d’outils pour travaux fins et précis. Un tuteur en bambou ou une tringle de fer servent pour les gros travaux nécessitant l’exercice d’une force de pression : couper, gratter, courber ou peindre en grande surface. Tous ces manches, droits ou déformables, reçoivent à leur extrémité pinceaux démanchés et remmanchés, crochets, spatules, lames de cutter, tampons de nettoyage en papier essuie-tout ligaturés… Ou encore, une boulette de gomme adhésive porte les objets légers, ou permet de les ramasser s’ils tombent. Les poils d’un pinceau tiennent la tête d’un personnage et le déposent les pieds enduits de colle épaisse. Il doit absolument tenir debout seul ou pouvoir être appuyé à un autre élément. Il peut aussi être transporté à peine collé par la tête sur une petite boulette de pâte adhésive piquée sur l’extrémité de l’outil.
Tous les outils mesurent un mètre pour atteindre sans difficulté le fond du flacon et garder une bonne prise en main.
Cette longueur impose d’appuyer le manche sur le col intérieur du goulot pour limiter des tremblements qui, multipliés par la distance peuvent atteindre une importance incompatible avec la précision nécessaire.
D’autres outils ont encore été nécessaires :
– Plusieurs seringues en matière plastique sont emmanchées « d’aiguilles » en fin tube de laiton ou d’aluminium. Ainsi il sera possible, en les courbant selon les besoins, de déposer une goutte ou un filet de colle sans faire de tache. Il suffit ensuite de tirer le piston en arrière avec deux doigts, la paume de l’autre main tenant le corps, pour avaler la goutte de colle superflue et de ressortir doucement l’outil.
– Un mini-aspirateur pour le dépoussiérage et le ramassage des fins déchets. Même principe que la ventilation forcée mais inversé : le tuyau souple de quelques centimètres raccordé à un tuyau rigide d’un mètre puis à un autre tuyau souple, enfin par un raccord de réduction au tuyau de l’aspirateur ménager. Ce dernier pris dans un ancien boîtier de film photo argentique 24/36, la lumière du manche de l’aspirateur réglée ouverte pour éviter l’échauffement du moteur lui-même réglé au ralenti.
Retour sur les bateaux et voitures de rivière
La scène représente la ville à l’époque choisie, les costumes, les différents types de bateaux, les matériaux et les denrées transportées, les outils et engins de travail divers, les véhicules, les petits métiers. Bien que fragmentaires, les appareillages de l’enceinte sont aujourd’hui encore nettement visibles.
Les documents laissés par Viollet-le-Duc, les dessins et aquarelles en couleur les complètent et donnent une image de l’interpénétration des constructions récentes avec les ruines de la muraille et des tours.
Le trafic fluvial, sur l’Yonne (comme sur l’ensemble du bassin de Seine), consista essentiellement, du Moyen Âge jusqu’au milieu du XIXe siècle, en transports à destination de Paris et, dans une moindre mesure, en trafic régional et local.
A la descente nous l’avons vu, les bois de chauffage et de construction du Morvan, le charbon de bois, les cendres pour le blanchissage, le tan de chêne de la forêt d’Othe, les peausseries, les briques et les tuiles, les pierres et les graviers, le vin de Bourgogne, les ocres d’Auxerre, le foin pour les chevaux, les blés et grains, et la chaux hydraulique.
En remontant : le sel de mer, les salaisons et divers produits alimentaires, des objets ouvrés, les futailles vides, du plâtre, etc. …
Les besognes, les marnois, les margotats, les toues, les foncets, descendaient et remontaient. Les trains de bois flotté, évidemment non, les chênières ou chênaies, construites sommairement dans le bois de chêne qu’elles transportaient étaient démontées et vendues avec le chargement ; leurs flotteurs et mariniers devaient donc remonter à pied ou en coche (4 ou 5 jours pour Villeneuve). Sur la haute Marne descendaient les sapinières ou sapines, d’un même usage unique que les chênières, mais faites des sapins des Vosges, et les lavandières qui étaient des sortes de marnois navigant sur la Haute Marne et la Haute Seine. La flûte de Bourgogne (à ne pas confondre avec la flûte hollandaise, ancien navire de commerce hauturier, rond et à forte capacité), n’apparaîtra que vers le début du XIXe siècle. Plus petits, les bachots et les flettes, sont des embarcations d’accompagnement qui servent de liaison et au remorquage des bagages, les plates enfin, font traverser les cours d’eau aux animaux.
Les bois expédiés en « bois perdus » (en vrac, livrés à eux-mêmes), causaient beaucoup d’accidents et de dégâts. Le 21 avril 1547, le Sieur Charles Le Conte, « … maistre des œuvres de charpenterie de l’Hostel de ceste ville de Paris … » fait parvenir à Paris le premier train de ces bois assemblés entre eux. (Ces descriptions et les suivantes proviennent principalement du livre d’Hélène Fatoux « Les métiers d’eau du temps jadis dans nos régions ». L’on peut s’y reporter pour une description précise et complète de la très complexe fabrication des trains de bois flotté, et des techniques de halage ; pour une description détaillée des différentes formes de chalands, se reporter au livre de François Beaudouin « Bateaux des fleuves de France »).
La présence des ponts avec leurs moulins, leurs pompes et les bateaux-lavoirs rendait difficile la traversée de Paris. Une arche dite « marinière » était réservée à la navigation. Depuis le Moyen Âge des passeurs de pont (maîtres-ponts, chableurs, et billeurs), halaient le bateau à l’aide de treuils à bras. Les piles des ponts étaient aussi équipées de cordages passés dans des anneaux fixés à la maçonnerie ou aux pieux de bois. Les mariniers halaient alors eux-mêmes en brassant.
Vers la ville trafiquaient donc deux réseaux bien distincts, l’un en amont, l’autre en aval. Les ports se succédaient par type de marchandises aux entrées est et ouest. En aval, le long port Saint-Nicolas reçoit des foncets (qui deviendront besognes au cours du XVIIIe siècle par modification de leur étrave) paille et foin pour les écuries royales et pierre à bâtir des carrières de l’Oise et de la Basse Seine. Le sel de mer, denrée de première nécessité, ne s’arrête pas qu’à Paris, une partie remonte à la limite de navigabilité approvisionner les campagnes les plus éloignées.
Ces chalands pouvaient redescendre chargés du bois destiné la construction navale maritime, le « bois de marine » qui, absolument prioritaire au temps des guerres navales avec l’Angleterre, était ainsi acheminé par réquisition des paysans locaux jusqu’à Rouen et au Havre. Mal rémunérés, ceux-ci renâclaient fortement, surtout à la période des récoltes qu’ils ne pouvaient pas alors effectuer, l’administration dépêchait la maréchaussée pour les contraindre.
En amont, rive droite, du port de Grève jusqu’au port Saint-Paul se succédaient les ports au charbon de bois, au blé, au vin, au foin… Puis à l’île Louviers, anciennement île aux Javiaux, (sables limoneux) s’entassaient d’énormes et hautes quantités de bois les théâtres. Située derrière l’île aux Vaches et l’île Notre-Dame, qui seront réunies au XVIIIe siècle pour former l’île Saint-Louis, l’île Louviers sera elle-même bâtie et réunie en 1847 au quartier de l’Arsenal par comblement du bras de Grammont, aussi appelé rivière du Mail, qui la séparait de la rive droite et qui deviendra le Boulevard Morland. La croissance de Paris ayant saturé l’île Louviers, rive gauche, le port Saint-Bernard en amont du pont de la Tournelle, reçut aussi d’importants volumes de bois.
Tous ces chalands aux noms si variés et aujourd’hui pittoresques, concernent le seul bassin de Seine. Chaque bassin possédait ses modèles spécifiques avec ses noms propres. Chacun de ces types était généralement originaire d’une rivière ou d’une région. Mais leur nature même les faisait se déplacer régulièrement vers d’autres affluents sur tout un bassin (voire vers d’autres bassins après la construction de canaux de liaison), où ils étaient adoptés si leurs qualités répondaient à un besoin local. Ainsi, par exemple, Vincent Coulon construira à Auxerre un « bateau normand » en 1817 et, en 1821 un « marnois » qui, comme son nom l’indique, est originaire de la Marne, plus précisément de Saint-Dizier.
Cette évolution était à la fois lente et subite. Une amélioration technique pouvait apparaître brutalement mais coexister plusieurs dizaines d’années avec l’ancienne forme, le temps que l’usure ou le vieillissement ait fait disparaître un type devenu obsolète mais construit pour durer.
C’est le cas par exemple, sur les marnois et les premiers coches d’un système de l’appareil à gouverner complexe. Le safran classique à mèche inclinée à 45°, extérieur au tableau arrière, est d’abord partiellement redressé puis remplacé par un safran à mèche verticale traversant la poupe entre les latrines : plus simple, plus robuste et plus maniable, mais non relevable.
Un coche désigne à l’origine un bateau marchand du type marnois halé par des chevaux.
Ce bateau sera aménagé pour organiser au XVIIe un service régulier de transport de passagers et bagages. L’on couvrira le marnois d’un cabanage qui sera divisé en salle commune, réduit à bagages, cantine, cabines du personnel, sanitaires, logement du contrôleur, avec couloir et escaliers d’accès. Richelieu, malade, l’empruntera, Napoléon Bonaparte fera revenir à son bord ses grognards.
Le marnois (de charge) forme coche, évoluera lui-même au début du XIXe siècle en flûte de Bourgogne. Une étrave remplace la levée d’avant, les bords deviennent verticaux et plus élevés, le tableau arrière carré. La capacité augmente mais aussi la résistance à la progression. Cette flûte compacte, lente mais de grande capacité, halée par des animaux ou des hommes, s’adaptera merveilleusement à la navigation en canal, où ses dimensions seront standardisées pour passer des écluses à sas.
Mais revenons à notre rivière. Au courant rapide, elle est réputée difficile.
À la descente, la pratique des éclusées par lâchers d’eau depuis les réservoirs artificiels situés très en amont en Morvan, permettait d’augmenter ponctuellement son débit et la hauteur de flottabilité. Les bûches étaient jetées dans les rus subitement grossis, se rejoignaient aux confluents pour couvrir l’Yonne jusqu’à ne plus voir son eau, rendant ainsi incompatibles flottage à bûches perdues et navigation. Il fallait bien coordonner les lâchers successifs dans les vaux tout au long la descente. Les bois « surfaient » en quelque sorte sur une vague, le flot, qui s’allongeait, ralentissait, et perdait en vitesse et hauteur à mesure de sa descente. À Clamecy ces bois arrivés en vrac étaient stockés sur les berges, assemblés en trains qui partaient ensuite pour Paris à la faveur d’un nouveau flot. Les flotteurs de trains et les mariniers devaient partir dès son arrivée, se joindre aux descendants arrivants de l’amont, donc prendre en quelque sorte le train en marche avec tous les risques d’accidents entre tous ces bateaux qui descendaient groupés par nécessité. Partis trop tard, les gros tonnages risquaient de ne plus avoir assez d’eau et de s’échouer.
Le passage des ponts était particulièrement risqué. Des pièces de bois découpées en dents de scie, les « arronçoirs », bordaient l’étrave et la poupe de chaque côté. À l’approche des piles du pont, le marinier prenait en main une robuste perche, dite « bâton de quartier » fichée dans le plat-bord et garantie par un cordage. Il bloquait une extrémité de cette perche entre deux des dents de scie « les crans » et dirigeait l’autre vers la maçonnerie de la pile pour empêcher la coque de la heurter. Compte tenu de la vitesse à la descente et de la charge, la pression pouvait être énorme sur cette perche qui pouvait riper. Gare alors aux avant-bras du marinier. Les ruptures d’assemblage des trains de bois flotté, les échouements, les heurts entre chalands ou sur les piles de ponts, provoquaient de nombreux accidents, souvent mortels par écrasement ou noyade. La présence sur les berges et en plein flot d’innombrables moulins- bateaux, bateaux-lavoirs, batardeaux de pêcheries, épaves, créaient des obstacles supplémentaires, eux-mêmes causes d’innombrables conflits d’intérêts corporatifs, de destructions accidentelles ou délibérées, suivis de règlements de comptes parfois violents et de recours en justice. La majorité des pertuis seront supprimés au cours du XVIIe siècle pour faciliter cette navigation vers Paris absolument prioritaire pour les autorités. La construction des écluses à sas au XIXe siècle transformera radicalement le mode de navigation sur l’Yonne.
À la remonte, les ponts et les méandres compliquaient énormément les opérations de halage : dételages fréquents, affalement du mât, contournement des chevaux, râtelage, changement de rive par un pont, un gué, une platte (barque de transport des chevaux), etc. Pour les mêmes raisons, l’utilisation de la voile comme force motrice n’était guère possible que dans les estuaires et sur la Loire, quasiment rectiligne et orientée ouest-sud-ouest depuis Orléans. Le halage pouvait s’effectuer depuis le plat-bord à la proue ou depuis un mât de halage central, tracté par des hommes, un ou plusieurs chevaux, des ânes ou des bœufs selon la taille du chaland et la distance à parcourir.
À suivre…
6) À voir dans le flacon (et sources icono)